«Commentaires de Dominique Giroud sur les différents dossiers»
L’affaire Giroud a fait l’objet de plus de 600 articles de presse ces derniers mois, sans parler du traitement audio-visuel, et l’on ne vous a pratiquement pas entendu. Ce silence peut passer pour un aveu de culpabilité. N’auriez-vous pas dû répondre aux accusations, puisqu’elles sont devenues publiques?
J’avais pour optique de répondre uniquement à la justice, seule à même de connaître la réalité des faits.Je pensais peut-être naïvement qu’un citoyen devait répondre de ses actes devant des juges avant de répondre aux journalistes. Je l’ai dit clairement en décembre dans un communiqué adressé à toutes les rédactions. Cela donne évidemment un certain champ aux médias, aux informations incomplètes ou incorrectes. Je ne suis pas le premier à faire ce genre d’expérience extrême.
Les procédures ne sont pas closes, mais vous nous donnez une interview.
Je ne m’exprime pas aujourd’hui sur les dossiers en cours, mais sur certains problèmes qui me semblent d’intérêt général, et sur lesquels le public a aussi le droit de recevoir des réponses.
Vous avez demandé récemment des mesures pré-provisionnelles suspendant la diffusion d’un film de la RTS vous concernant. Ça semblait un peu dérisoire dans la masse des révélations tombant de tous les côtés. Où vouliez-vous en venir?
Mon but n’a jamais été d’empêcher la presse de faire son travail. La RTS voulait cependant diffuser un nouveau reportage biaisé et à charge. J’ai estimé que certains contenus, en grande partie erronés et hors contexte, n’étaient pas di- gnes d’un média de service public. Qu’ils allaient générer de nou- veaux malentendus.
Le juge a finalement donné le feu vert à la RTS.
Effectivement. Le juge a estimé que mes droits avaient déjà été tel- lement bafoués, notamment par d’autres médias, que d’interdire ce reportage n’avait plus de sens. Il m’appartenait selon lui de deman- der réparation ultérieurement. J’ai fait recours contre cette décision. Je précise que le Tribunal de Sion, concernant un autre reportage, a indiqué le 11 mars que la RTS «avait présenté une image faussée»
de la réalité, parlant «d’allégations non établies», et même de «déni- grement». Cela me semble parti- culièrement révélateur. Cette af- faire fiscale est toujours en instruction, et elle est évidemment bien plus complexe que certains articles le suggèrent. Je m’expri- merai plus précisément à ce sujet au terme de la procédure.
Il semble que vous ayez toujours eu des relations tendues avec les medias.
J’ai été sollicité de nombreuses fois ces dernières années, pour des articles plutôt positifs dans Bilan, Le Temps, PME Magazine, L’Hebdo, le Tages Anzeiger et j’en oublie. Lorsque tout d’un coup, vous faites l’objet quotidiennement d’articles terriblement négatifs, répétitifs, souvent faux et destructeurs, vos relations avec les médias évo- luent et peuvent paraître tendues.
Si les enquêtes sont devenues publiques, c’est aussi parce qu’il y a eu des fuites. Vous pensez que des gens vous veulent du mal et ne se contentent pas que la justice fasse son travail?
Il y a effectivement eu des fuites ciblées, venant du plus haut niveau. Pour le reste, je n’entre pas dans ce genre de considération. Aux institutions qui ont laissé divulguer certains documents de répondre de leurs fautes.
Vous avez l’impression que tout le monde se précipite pour régler des comptes personnels?
J’évite de spéculer à ce sujet. J’évite surtout de me demander plusieurs fois par jour à qui profite la surenchère médiatique. Au cinéma, c’est en général à la fin du film que l’on saisit le fond de la trame.
Ce que l’on entend depuis des années en Valais, c’est que votre succès spectaculaire dans le secteur viti-vinicole est incompréhensible, impossible. Que votre cave, très en vue au pied de la route de Nendaz, est un luxe, et que votre argent est d’origine douteuse?
J’ai souvent entendu dire cela à propos d’entreprises à succès, et pas seulement en Valais. J’ai démarré avec l’aide de ma famille et surtout de mon père, comme la plupart des entreprises naissantes. Des prêts bancaires m’ont ensuite permis d’investir. J’ai eu la chance de réussir dans le vin, à l’exportation, mais également dans d’autres activités agro-alimentaires et foncières, avec de bonnes synergies. J’ai beaucoup travaillé, avec une équipe motivée et très engagée. Nous avons développé la niche de courtier-grossiste en vins à laquelle personne ne croyait. Cette intégration verticale et innovante a été un levier important. Il y a eu un travail constant avec plusieurs gammes de vins dont je suis très fier. Nous avons ouvert de nouveaux marchés, avec de nouveaux produits et obtenu des centaines de médailles en Suisse et à l’international.
Vous donnez des chiffres sur l’entreprise?
Comme la plupart des entreprises privées et non cotées, je réserve mes informations internes à mes partenaires financiers. C’est une pratique courante, comme vous le savez. Il est de notoriété publique que nous employons plus de cent collaborateurs et que nous avons des centaines de fournisseurs et partenaires, en Valais et en Suisse, comme à l’étranger.
Estimez-vous avoir commis des erreurs?
Oui, je suis trop impétueux. Oui, j’ai commis des erreurs en chemin. Et j’assumerai toujours mes responsabilités. Mais je réponds à mes collaborateurs, à mes partenaires, à la justice, non à des procureurs autoproclamés.
En matière fiscale, il s’agit d’erreurs importantes et volontaires.
Je reconnais n’avoir pas déclaré la totalité de mes revenus. J’ai conscience que cela n’est pas acceptable et je le regrette sincèrement. Pour le reste, une procédure est en cours, dont les conclusions ne sont pas encore connues. Ce que je peux vous dire, c’est que les montants en cause ne dépassent pas 2% du chiffre d’affaires de l’entreprise sur la période visée. On est loin d’un «modèle d’affaires», comme certains le suggèrent avec des intentions malheureusement malveillantes.
Qu’en est-il des fausses factures?
Il s’agit de faux justificatifs pour des affaires réelles. Ils sont de mon seul fait, comme je l’ai reconnu lors des auditions.
Vous avez affirmé que certains faits qui vous étaient reprochés étaient des pratiques courantes dans le métier. Ça donne l’impression que vous cherchez à relativiser votre responsabilité.
Mes mots, sortis de leur contexte à la suite de fuites, ont été défor- més puis montés en épingle. En réalité, je reconnais mes torts et n’accuserai personne pour me cou- vrir, comme cela m’a été abusive- ment reproché.
Quel genre de regret avez-vous? Vous feriez différemment avec le recul?
J’ai véritablement sous-estimé l’importance de ce qui m’est aujourd’hui reproché. Avec de lourdes conséquences sur mes proches et les collaborateurs qui représentent l’âme de l’entreprise. Je le regrette. Aujourd’hui, à 43 ans, étant parti d’à peu près rien, sans grande formation et après avoir foncé tête baissée, je regrette la situation actuelle qui m’a contraint de me retirer d’une affaire qui est un succès du point de vue de son travail dans le vin.
Comment vivez-vous ces événements?
J’ai heureusement une grande capacité à encaisser, avec une bonne résistance physique et morale, c’est sûrement dû aux heures passées dans les vignes. J’ai surtout de vrais amis et des partenaires professionnels loyaux qui me sou- tiennent malgré les attaques qui sont également dirigées contre eux.
On vous dit proche des milieux traditionalistes d’Ecône.
Je ne comprends pas votre question. En quoi mes convictions supposées, qui relèvent de ma sphère privée, ont-elles un quelconque intérêt dans cette affaire? Si un autre contribuable ne déclare pas tous ses revenus, va-t-on relever qu’il est protestant ou bouddhiste?
L’affaire Giroud a très vite pris une dimension politique en Valais, parce que votre ancien réviseur indépendant, à l’époque
des problèmes fiscaux, est aujourd’hui conseiller d’Etat démocrate chrétien.
M. Tornay a fait son travail de réviseur indépendant en toute intégrité à partir des faits dont il avait connaissance.
Quelles ont été vos relations avec lui?
Strictement professionnelles. Nous n’avons mangé ensemble qu’une seule fois ces vingt dernières années.
Et aujourd’hui?
Je ne vois plus Maurice Tornay. Je suis vraiment désolé que M. Tornay, qui est un homme droit et intègre, ait été mis dans cet embarras.
Quelles sont vos relations avec le microcosme politique?
En Valais, ces relations-là sont à la fois compliquées et très simples. Chacun a ses convictions politiques, qui peuvent s’afficher fortement au jour le jour. J’ai du respect pour les politiciens qui s’engagent, mais je garde des distances.
Où vous situez-vous politiquement?
C’est l’économie qui me passionne avant tout. Je me situe plutôt à droite, même si je n’appartiens à aucun parti. Je sais qu’il y a des gens de qualité dans tous les courants politiques.
Giroud Vins emploie une centaine de collaborateurs. Vous n’avez licencié personne depuis six mois? Le climat actuel ne doit pas favoriser vos activités commerciales.
Je crois avoir tout fait pour garder le cap et ne pas devoir licencier. J’espère que les décisions prises permettront à l’ensemble des équipes de se projeter dans un futur plus serein. Je pense en revanche que mes détracteurs n’ont guère considéré ce genre de dégâts potentiels. On a parlé de moi comme si j’étais un indépendant solitaire, alors qu’il y a une entreprise avec de vraies personnes.
L’administration fiscale vous réclame 9,5 millions de francs. Cette somme ne met-elle pas l’entreprise en danger?
Je ne peux pas faire de commen- taire sur ce chiffre pour l’instant, parce que la procédure est en cours et le montant est formellement contesté par les experts fiscaux. J’ai la ferme intention de régler toutes les sommes que je dois réellement. Je me battrai pour sauver des cen- taines d’emplois en Valais, surtout dans ce secteur économiquement fragile.
Quels sont vos projets?
Un chef d’entreprise doit aussi tirer les leçons de situations comme celle que je traverse depuis sept mois, et prendre des décisions. Vous avez vu que l’une d’elles a été de transmettre l’opérationnel à un management expérimenté et respecté.
Sous pression des banques?
Absolument pas.
Et qu’allez-vous faire?
Prendre du recul, régler les affaires en cours. Puis, peut-être, évoluer vers de nouvelles activités.
Que répondez-vous aux accusations sur le coupage de vins?
Très peu de gens connaissent la législation sur le coupage et l’assemblage. Ces pratiques sont admises dans la mesure où elles sont bénéfiques à notre production. J’espère que cette affaire permettra de clarifier un peu les choses. Le but d’un coupage, aussi appelé assemblage de millésime ou de cépage, est d’améliorer la qualité du vin, de protéger celui-ci contre l’oxydation ou de permettre une constance en quantité et qualité lors des récoltes pour stabiliser le marché. Ce sont des pratiques légales dans le monde entier. En Valais, il y a une norme autorisant de couper selon certaines règles jusqu’à 15% pour des cépages commercialisés. Dans d’autres cantons, Vaud par exemple, c’est bien davantage: 40% pour certaines appellations. Ces normes sont très contrôlées. Sur ce sujet, il y a eu entre 1300 et 2200 remarques émises annuellement par la commission fédérale des vins sur ces dernières années.
Vous avez tout de même coupé abusivement 350.000 litres de vins.
Ce chiffre a été avancé par des médias, mais il est totalement incorrect. Les dépassements qui n’ont pu être corrigés ne portaient que sur 5’862 litres. Sur un volume total de plus de 30 millions de litres com- mercialisés sur cinq ans! Le volume contesté représente moins de 0,02% de notre commercialisation. C’est ce que la RTS savait et n’a pas voulu dire. De plus, ces erreurs portaient principalement sur des assemblages excessifs de millésime, et non de cépage. Les chiffres détaillés seront publiés prochainement sur mon site personnel dominique-giroud.com.
Et l’usage abusif de l’appellation Saint-Saphorin?
Je conteste formellement ces accusations. J’attends avec confiance la fin de l’instruction concernant cette affaire. Ce que je peux dire, c’est que la plainte à l’origine de cette enquête a été retirée il y a main- tenant plus de deux ans. La justice a voulu vérifier l’origine du produit. A ce sujet, je peux vous dire qu’il n’y a jamais eu de Fendant dans le Saint-Saphorin comme cela a été faussement affirmé.
La commission de gestion du grand Conseil valaisan a étudié votre dossier relatif aux sanctions que le chimiste cantonal a rendues à votre encontre. Les sanctions étaient apparemment trop clémentes.
Je me suis toujours soumis aux décisions qui m’étaient adressées par le chimiste cantonal. Le rapport s’est d’ailleurs essentiellement concentré sur le rôle du laboratoire cantonal. J’ai cependant été surpris de ne jamais avoir été convoqué lors de cette procédure, cela aurait peut-être permis de rectifier des points clés. Exemple: le rapport mentionne «moins de 5% d’irrégularité». Alors qu’il s’agit en fait de moins de 0.02%! En remontant aux sources, telles que ce rapport, vous pouvez constater que la réalité est bien différente de ce qui a été dit.
Quels rapports avez-vous aujourd’hui avec la Commission fédérale des vins, qui vous a dénoncé auprès du laboratoire cantonal?
Je collabore avec la commission et fais l’objet de contrôles de cave régulièrement, comme tous mes collègues de l’interprofession. Les relations sont aujourd’hui claires et professionnelles. Je ne demande qu’un traitement objectif, et je me bats pour l’obtenir.